Voici un article rédigé par Yann Louvel, des Amis de la Terre Drôme, pour l’édition de mars-avril 2012 des épines drômoises, la revue bimestrielle de la FRAPNA Drôme, suite à la conférence-débat organisée en janvier sur ce sujet à Valence.
Le nucléaire est enfin un sujet de débat de la campagne électorale en cours. Mais, comme pour bien d’autres activités controversées, on se pose rarement la question de savoir comment l’industrie nucléaire est financée, et par qui ? Et la réponse pourrait bien vous surprendre puisqu’il pourrait bien s’agir de vous ! On pourrait donc être contre le nucléaire tout en le finançant, mais comment est-ce possible ?
Tarir le financement du nucléaire
Cette réflexion des sources de financements de ce que l’on appelle les « projets controversés » à travers le monde est au cœur de la campagne « Responsabilité des acteurs financiers » que mènent les Amis de la Terre depuis 1996. Le principe de cette campagne est précisément de remonter et d’attaquer ces projets à la source, afin de tarir leurs financements pour les stopper, ou a minima d’en améliorer les conditions environnementales et sociales souvent déplorables car généralement localisés dans les pays du Sud. Pour ce faire, les ONG qui travaillent sur ces acteurs financiers sont regroupés au sein d’un réseau international qui coordonne leur action : le réseau BankTrack.
C’est donc avec des ONG partenaires européennes et le réseau BankTrack que les Amis de la Terre ont lancé en 2010 la campagne « Nuclear Banks, No Thanks ! », basée sur un rapport d’analyse et un site Internet grand public, www.nuclearbanks.org (malheureusement uniquement en anglais). L’analyse menée a donc porté sur les sources de financements de toute l’industrie nucléaire de 2000 à 2009, des entreprises minières impliquées dans l’extraction de l’uranium à celles impliquées dans le démantèlement des centrales. Et les résultats sont impressionnants. En utilisant des bases de données financières internationales spécialisées, ce sont ainsi 867 transactions financières totalisant 175 milliards d’euros qui ont été mises au jour !
Comment est utilisé votre argent?
Mais c’est surtout la prévalence des banques françaises qui marque le plus ces résultats. C’est en effet BNP Paribas qui arrive en tête et se révèle être ainsi le financeur n°1 mondial du nucléaire, avec plus de 13 milliards d’euros injectés dans cette industrie néfaste. La Société Générale arrive quant à elle en quatrième position, avec près de 10 milliards d’euros, et le Crédit Agricole cinquième avec plus de 9 milliards d’euros ; soit trois banques françaises parmi les cinq plus radioactives au monde ! En l’absence de toute transparence sur l’utilisation des fonds que vous déposez sur votre compte courant ou sur vos produits d’épargne, c’est donc via ces banques que vous pouvez soutenir l’industrie nucléaire, à votre insu.
Les résultats de l’étude sont encore plus saisissants quand on y découvre que ces mêmes banques françaises, malgré leurs beaux discours sur le développement durable ou la responsabilité sociale des entreprises, ont toutes les trois financé dans la décennie 2000 la compagnie japonaise TEPCO, responsable de graves négligences qui expliquent en partie la catastrophe nucléaire de Fukushima, toujours en cours à l’heure actuelle !
Mais Fukushima n’est malheureusement pas le seul projet en cause, et les campagnes visant certains projets nucléaires spécifiques à travers le monde continuent aujourd’hui plus que jamais. Un de ces projets historiques est le projet de centrale nucléaire de Belene, en Bulgarie, prévu en zone sismique, dans l’Union Européenne !
Des banques françaises démasquées
C’est d’abord BNP Paribas, une fois de plus, qui a financé le début de la construction de cette centrale en 2007, avant de faire face à une campagne d’ONG menée par les Amis de la Terre à travers toute l’Europe. C’est ce risque de réputation et d’atteinte à la « marque » BNP Paribas, mais aussi la crise économique, qui expliquent sont retrait du projet début 2010, une grande victoire pour les ONG. Malheureusement, c’est la banque anglaise HSBC qui a pris le relai l’an dernier et tente actuellement de trouver une viabilité économique à ce projet, et les investisseurs qui vont avec. La campagne s’est donc tournée vers cette banque et pourrait connaître de nouveaux rebondissements dans les mois à venir.
Deux autres projets emblématiques plus récents ont retenu l’attention et fait parlé d’eux dans les médias suite à l’implication de Greenpeace France dans cette campagne : le projet de réacteur nucléaire d’Angra 3, au Brésil, et celui de Jaitapur, en Inde. Le premier est un vieux projet qui date des années 80 et présente de multiples failles et défauts, la principale étant le fait qu’une seule route d’évacuation existe en cas de problème, et que celle-ci est souvent impraticable car bloquée par des glissements de terrain ! Ce qui n’a pas empêché la Société Générale, suivie par la BNP Paribas, le Crédit Agricole mais aussi le Crédit Mutuel de proposer l’an dernier un prêt à l’entreprise brésilienne le construisant, dont les négociations sont toujours en cours. Le second est le projet de deux réacteurs EPR hautement stratégiques pour l’industrie nucléaire française, qui seraient construits à Jaitapur, sur la côté ouest de l’Inde, une zone traversée par trois failles sismiques ! Le projet fait par ailleurs face à une opposition locale extrêmement importante, ayant conduite à de nombreuses manifestations dont certaines furent réprimées dans le sang par la police indienne, avec la mort tragique d’un manifestant en avril dernier.
C’est pour présenter cette campagne, ces résultats et ces révélations qu’a eu lieu le 19 janvier dernier une conférence-débat sur ce sujet à Valence, organisée conjointement par les Amis de la Terre Drôme, Sortir du Nucléaire Drôme Ardèche et la Ligue des Droits de l’Homme. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le débat s’est intéressé de prêt au coût global du nucléaire et au risque pour les banques de prêter à des projets ou des entreprises qui pourraient faire faillite en cas d’accident nucléaire majeur, ce qui est le cas actuellement pour TEPCO.
Garder les bénéfices et faire payer la société
Il est tout aussi intéressant de savoir que les banquiers ne se cachent même plus de la réponse à cette question : en cas de faillite, comme pour tout ce qui concerne le nucléaire (déchets, démantèlement, assurance…), c’est bien sûr l’Etat et donc toute la société, vous et moi, qui seraient mis à contribution pour éponger les dettes des dérives du nucléaire, pour lequel on ne nous a jamais demandé notre avis.
Pour en revenir aux banques françaises, vous trouverez toutes les informations sur cette campagne sur le site Internet www.financeresponsable.org, qui vous indique notamment la démarche à suivre pour « changer de banque » ou, à défaut, pour « changer votre banque » si vous ne pouvez/voulez pas en changer. Vous trouverez notamment sur ce site les guides éco-citoyens « Environnement : Comment choisir ma banque ? » et « Environnement : Comment choisir mon épargne ? » qui présentent les alternatives comme la société financière Nef, seule institution financière transparente et réellement « éthique » en France, dont un groupe local vient de se créer dans notre région…
Yann Louvel